– Vous ne pensez tout de même pas que je vais croire à cette histoire ?! s’offusqua Eljoying en frappant du plat de la main sur la table.
– Il faut avouer que si Lizeth a tout inventé, elle ne manque pas d’imagination, intervint Orchysdal.
– Mais enfin, Orchys ! C’est une mesure désespérée pour nous tromper !
J’avais l’impression qu’ils avaient oublié que j’étais dans la même pièce.
Après avoir refusé de m’alimenter pendant plus d’une semaine, au bord du gouffre, j’avais réalisé que si je ne faisais rien, le souvenir d’Amynduilas serait perdu à jamais. J’étais la seule à me souvenir de lui, mais petit à petit, j’avais aussi commencé à l’oublier, comme la fois où j’étais restée bien trop longtemps sous la forme d’un esprit. J’avais alors demandé à ce que l’on me permette au moins d’écrire tout ce dont je me souvenais. Shabb avait été envoyé pour mettre sur papier mon histoire. Une semaine durant, je m’étais efforcée de tout raconter, avec un maximum de détails. Le Nain n’avait fait aucun commentaire, restant impassible pendant toutes les séances. Puis j’avais été convoquée par les officiers des Cavaliers Solidaires.
La grande salle du Smial avait été aménagée pour cette rencontre, deux tables côte à côte pour les chefs de la confrérie, Orchysdal au centre, Eljoying et Rhéo à sa droite, Thalesir et Moela à sa gauche. Eljoying était réellement hors d’elle, lançant parfois des regards inquiets vers son voisin. Elle pouvait l’être, étant donné que dans ma version des faits, Rhéo était mort des suites du poison du Bois Noyé de la Forêt Noire. L’intéressé n’avait pas dit un seul mot depuis le début de la réunion, mais je devinais combien il devait être gêné par la situation. De son côté Moela semblait ne pas en croire une miette. Elle ne me quittait pas des yeux. Dans un coin de la pièce, assise sur un buffet, Habricotine était les bras croisés en train de mâchouiller un épi de blé. Ma sœur n’était pas présente.
– Cela n’empêche en rien toute la souffrance que nous avons dû subir, que son histoire soit vraie ou fausse. Elle doit payer ! reprit Eljoying de plus belle.
Orchysdal leva la main droite pour calmer Eljoying. Elle avait en face d’elle la boîte où ils avaient gardé mon pendentif, et l’esprit de Chandra. Je me demandais pourquoi elle était encore là alors qu’Amynduilas avait disparu. Elle m’avait pourtant affirmé que si quelque chose arrivait au porteur du pendentif elle en pâtirait aussi. Il était vrai que si cela avait été le cas, je ne serais pas assise sur cette chaise en si mauvaise posture.
Le pendentif avait toujours été le véritable problème.
– Tout comme vous, je ne peux qu’être dubitative, déclara Orchysdal. Une histoire pareille, alors que tant des nôtres sont morts… Tu n’as aucune preuve de ce que tu avances, Lizeth. Mais contrairement à ce que nous avons vécu, tu as reçu la bénédiction de Dame Galadriel. Elle voit plus que n’importe lequel d’entre nous, et j’ose croire que ses visions transcendent cette réalité.
Je fronçai les sourcils, ne voyant pas où la chef voulait en venir. Souhaitait-elle que nous allions voir Galadriel, alors que nous avions fait le voyage de retour jusqu’en Comté ?
– Je lui ai envoyé une missive, et la réponse ne s’est pas fait tant attendre. La Dame de la Lothlorien était déjà en route et elle a demandé à te voir. Elle a connaissance de notre décision, et je suis certaine qu’elle saura prendre la bonne décision.
Orchysdal se leva lentement, et s’empara de la boîte. Elle fit quelques pas vers la porte, les autres officiers, silencieux, regardaient devant eux. Ils allaient respecter la parole d’Orchysdal, même s’ils n’aimaient pas la direction que les événements étaient en train de prendre. Quant à moi, je ne savais pas si je ressentais du soulagement. Dame Galadriel était une alliée qui avait le pouvoir de me sauver. Mais ce que je voulais allait au-delà de la rédemption.
– Mon souhait le plus grand est de rétablir la mémoire d’Amynduilas Tireloin, dis-je d’une voix claire. La perte de nos amis est… La perte de nos amis est terrible, mais les répercussions de la disparition d’Amynduilas vont plus loin de ce que l’on peut imaginer. La vie de Moela a été entièrement modifiée et je peux vous assurer qu’il n’existait pas de relation plus profonde que celle qu’elle partageait avec lui. Cela me désole que vous n’apportiez pas plus d’importance à son souvenir, qu’il soit vrai ou faux. Il était un membre des Cavaliers Solidaires des plus loyaux. Je comprends bien que mon point de vue ne vaut pas plus que chacun des vôtres, vous n’avez pas demandé à ce que souffrent Galaenthir, Legalus, Dirvrelleth, ou même Cellebiel, mais nous pourrions sauver trois d’entre eux.
– Et à Rhéo d’en subir les conséquences également, lâcha Eljoying. Quel toupet ! Tu n’as pas un caractère si éloigné de celui que tu avais avant !
– Eljoying ! trancha Orchysdal. Cette réunion est terminée. Nous ne savons même pas s’il existe réellement un moyen de répondre à la requête de Lizeth. Rhéo est en vie, alors ne mets pas ce jeune homme plus mal à l’aise qu’il ne l’est déjà. Lizeth, nous savons très bien ce que tu souhaites. Mais je m’en remettrai à la volonté de Dame Galadriel. Ces choses nous dépassent, tous autant que nous sommes !
Ses paroles étaient sans appel. Le silence s’abattit sur la pièce.
La tente de Dame Galadriel était dressée tout en haut d’une colline, en périphérie de Grand Cave, à l’ouest de Bourg de Touque. Même si je réussissais à convaincre l’une des figures les plus importantes de la Terre du Milieu, je n’avais pas convaincu les Cavaliers Solidaires de ma sincérité. Si je n’avais pas souhaité autant qu’Amynduilas revienne, j’aurais voulu au moins ne pas voir mes amis tous retournés contre moi.
Deux files de soldats encadraient mon chemin, je n’aurais pu aller nulle part. Je n’en avais pas non plus l’intention. Orchysdal me précédait, accompagnée d’Eljoying, et derrière moi, Moela et Thalesir me suivaient. Rhéo n’avait pas répondu présent à l’invitation.
Galadriel portait une élégante robe blanche brodée de vert et d’or. En me voyant, elle se leva du fauteuil sur lequel elle était assise à nous attendre. Malgré son sourire, son regard était préoccupé. Elle invita mes accompagnateurs à prendre place sur les autres coussins.
– Lizeth Heliandil, je ne crois pas que nous nous soyons déjà rencontrées. Pas ici en tout cas.
Elle ne parlait pas de la Comté.
– Ce dont nous allons parler aujourd’hui ne sera pas facile à comprendre. Asseyez-vous.
Je m’exécutai. Ses paroles n’auguraient rien de bon, cependant.
– Les événements arrivent dans un ordre précis, expliqua Galadriel, et les décisions que l’on fait les influencent, ce qui en génère de nouveaux. Je peux voir différents futurs et je ne peux que les interpréter, car les décisions de chacun peuvent confirmer une vision, et mettre de côté les autres. En revanche, je ne vois pas le passé. Le passé est immuable, il est déjà écrit à de nombreux endroits, et ses visions n’auraient pas de sens. Mais il y a un peu moins d’une centaine d’années, j’ai eu des visions bien particulières, et je compris qu’elle ne prendraient de sens que bien plus tard, lorsque je rencontrerai la bonne personne.
– Qu’avez-vous vu dans ces visions ? lui demandai-je.
– Cela a commencé avec un couple de jeunes Elfes. Ils avaient tout pour être heureux, mais ils n’ont jamais pu avoir d’enfant, malgré tous leurs efforts. Ce fut une vision que je mis de côté en attendant de mieux la comprendre. Depuis j’en eus d’autres, toutes paraissant sans conséquences notables, des rencontres entre divers acteurs. D’ailleurs, je reconnais l’un d’entre eux parmis nous.
Galadriel regardait à présent Moela avec intensité. Cette dernière rougit d’embarras jusqu’à ce que l’on ne fasse plus la différence entre son visage et ses cheveux.
– Le fil de votre destin est le résultat d’une succession d’évènements qui ont divergés il y a bien longtemps, reprit l’Elfe en s’adressant à la Capitaine. Mes visions ne sont d’habitude qu’une représentation des faits en devenir. Mais chez vous… la rencontre que vous avez faite avec votre ami Chasseur n’aurait pas dû arriver de cette façon. Et alors que j’avais toujours eu une position neutre concernant ce que je voyais, j’avais là l’indicible impression que ce devait être une vision à rejeter, qu’elle ne pouvait être vraie. Puis quand plus tard, elle s’accomplit, cela me troubla grandement.
– Que voulez-vous dire par « la rencontre que vous avez faite n’aurait pas dû arriver » ? l’interrompit Moela. Je pouvais sentir son incompréhension.
– Vous avez créé des liens avec Dirvrelleth bien différents de ce qu’ils auraient dû être. Je ne puis vous assurer…
– Mais comment pouvez-vous.. !? s’emporta Moela en se levant.
Tout le monde ouvrit de grands yeux, surpris par le comportement de la Capitaine. Galadriel, quant à elle, ne bougea pas d’un cil.
– Dirvrelleth était mon compagnon, la personne sur qui je pouvais le plus compter. Essayez-vous de me dire que tout ce que j’ai vécu avec lui n’était pas authentique ? Ce que vous avancez ne sont que des… impressions indicibles ! Et ce que nous a raconté Lizeth ne pourrait être qu’un stratagème pour éviter notre jugement. Son histoire m’avait donné un tant soit peu l’espoir que Dirvrelleth ne devait pas être mort, qu’il n’aurait pas dû être assassiné, que peut-être, si nous trouvions un moyen de rétablir les évènements, il pourrait me revenir.
– La relation entre vous et Dirvrelleth était bien authentique, au contraire. Quant à l’espoir de le voir de nouveau parmi les vivants… dit-elle en soupirant. Ce qui est fait est fait. Toutes les personnes ici-présentes ont pris des décisions qui ont amené à la situation d’aujourd’hui. Et…
– Lizeth a bien réussi à changer le cours du passé !! Comment aurait-elle pu vivre des événements complètement différents ? A vous entendre, on dirait que vous confirmez la possibilité qu’elle ait raison, mais ensuite, vous dites que le passé est immuable et que les faits sont faits. Je ne souhaite pas vous manquer de respect, mais cela n’a pas de sens !
Sans écouter la réponse de Galadriel, Moela se dirigea vers la sortie de la tente.
– Veuillez excuser la réaction de notre membre, Dame Galadriel, annonça Orchysdal en se levant à son tour. C’est une jeune femme avec un fort caractère.
– Moela est dans son droit d’avoir des interrogations, en plus d’être en deuil. Si je suis venue ici, c’est pour comprendre ce qui a pu se passer. Comme je l’ai dit, Lizeth a pris des décisions qui l’ont amenée ici, et je comprends que vous souhaitiez faire justice.
– Souhaitez-vous vous entretenir avec Lizeth seule à seule ? Je crois que nous n’avons pas besoin d’être présents. De plus, ces histoires de passés et de futurs ne font qu’embrouiller l’esprit. Dites-nous quand nous pourrons revenir, nous ne serons pas loin.
Galadriel acquiesça et Orchysdal invita les autres à prendre congé avec elle. Une fois partis, j’attendis que l’Elfe reprenne son discours. Au bout de quelques secondes, elle soupira.
– Alors, Lizeth, tu as dû avoir du temps pour y réfléchir. Tu n’as plus la même conscience que celle d’il y a quelques semaines, n’est-ce pas ? Où crois-tu que l’autre s’en est allée ? Crois-tu qu’elle ait disparue tout comme cet Amynduilas ?
Catégories: BG de Lizeth Fanfiction LOTRO
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