Le sud de la zone était davantage lugubre. Jusqu’ici nous avions rencontré quelques spécimens de la faune locale, des corbeaux, une meute d’Ouargues mais aussi des sangliers, qui semblaient avoir élu domicile au pied d’une petite forteresse délabrée et abandonnée. En face de nous, plus loin sur le chemin, il y avait un pont. Il ne semblait pas très solide et était bancal, mais si les Orques étaient passés par là avec les Malledhrim, nous devrions pouvoir le traverser également, quand bien même le torrent qui coulait dessous et qui allait se déverser dans l’Anduin ne prêtait pas à ce que l’on s’y mouille.

– Je n’aime pas ce plan, maugréa Siloinsiproche. Orchys, on est à découvert en passant par ce pont, autant sonner le cor tout de suite, et leur montrer fièrement à quel point c’est du suicide en mettant à nu nos poitrines.
– Siloin, répondit sèchement Orchysdal, même si le choix de tes mots doit sûrement être mûrement réfléchi, il n’y a pas d’autre passage plus sécurisé. Tu trouveras le même pont un peu plus loin en amont, mais il débouche sur un camp d’Ouargues élevés par des gobelins. Si Cellebiel a dit vrai, nos ennemis sont passés par ce pont-ci, et ce n’est pas pour faire un détour par le chenil.
– Mouais, tu fais confiance bien rapidement à cette Elfe. Enfin, c’est toi qui décide.

Le Nain soupira mais ne se montra pas pour autant effronté. Il était clair que nous faisions là un choix difficile et délicat. Que les Malledhrims se trouvent ou non plus loin au sud, passer la rivière était un risque à prendre. Orchysdal nous demanda de descendre de cheval et de les laisser de ce côté du torrent. Nous traverserions par petit groupe de quatre, ceux laissés derrière prêts à aider les premiers si la situation venait à tourner au vinaigre. Je faisais partie du deuxième groupe et j’attendais avec Amynduilas, Moela et Tyalangan le signal pour avancer.

– Tu vas mieux Lizeth ? me demanda le Chasseur à voix basse.
– Oui, ne t’en fais pas, lui répondis-je en pinçant légèrement les lèvres.
– Je te demande pardon, je n’aurais pas dû rester si éloigné. Pour être franc, le pendentif m’est sorti momentanément de l’esprit.
– C’est un lourd fardeau que Chandra t’a confié, lui commentai-je en secouant doucement la tête. Je n’aime pas le fait qu’elle te mette en danger, et la connaissant, elle doit avoir une petite idée derrière la tête. Dans tous les cas, essayons de ne pas réitérer l’expérience.

Je ne souhaitais pas développer sur ce que j’avais ressenti, car je voyais bien qu’Amynduilas s’en voulait déjà beaucoup. J’avais moi aussi ma part de culpabilité dans l’histoire, bien entendu, mais il n’était pas nécessaire d’argumenter des heures sur ce sujet. Je relevai la tête et vis qu’Orchysdal nous faisait signe de l’autre côté du pont.

Les Orques attaquèrent alors que nous étions au milieu du pont. Thalesir cria quelque chose vers l’avant alors que nous entendions la pluie de flèches fondre sur nous. Instinctivement, je sortis l’une des armes Malledhrims que j’avais prise plus tôt et me concentrai pour esquiver les projectiles. Sans le pendentif, j’étais plus lente, mais j’arrivai quand même à dévier la trajectoire de deux d’entre elles. Néanmoins, une douleur aigüe me traversa le bras droit lorsqu’une troisième flèche m’érafla en passant trop près.

– Ils ne sont pas nombreux, en avant ! cria Orchysdal.

La poussée d’adrénaline me permit de me lancer vers l’avant et d’atténuer la douleur. Je vis le reste du groupe derrière moi s’engager sur le pont en courant tout en restant concentré sur les alentours, et je fis de même. Une fois arrivée sur la terre ferme, j’esquivai une flèche en faisant un pas de côté, et sans réfléchir, je fondis sur l’attaquant, qui était à moitié caché par une pierre. J’allais lui faire goûter de ma lame quand je m’arrêtai net. L’archer portait un masque qui lui recouvrait le haut du visage ainsi que ses joues. Il était également vêtu d’une cagoule et d’une armure noire dont le cuir elfique me frappa instantanément.

– Mais que… réussis-je à prononcer sur le coup de la surprise, juste avant de recevoir un coup de genou dans l’estomac.

Il me poussa vers l’arrière et je perdis l’équilibre. Au même moment, j’entendis d’autres remarques d’étonnement derrière moi.

– Joye ! Ce sont eux, bon sang ! interpella Orchysdal.

Le bruit des combats continua alors que mon adversaire sautait sur moi, m’empêchant de bouger. Il s’assit sur le haut de mes jambes pour les immobiliser et me serra à la gorge en me plaquant au sol. Je tentai d’écarter ses doigts tandis que je commençais à perdre connaissance. N’y parvenant pas, je me mis à l’attaquer au visage, qui était remplacé par de petites étoiles brillantes. Mon champ de vision s’étrécit peu à peu, et l’agonie me parut longue.

Soudain, l’étreinte se desserra, et je pus avaler une goulée d’air qui me fit atrocement mal. Je toussai en me roulant sur le côté, essayant de me relever. Du coin de l’œil, je vis Amynduilas frapper le Malledhrim au visage, ce qui eut pour effet de l’assommer. L’adrénaline retomba d’un coup, et mes genoux tremblèrent. Je me couchai dans le lit de feuilles en continuant de me masser le cou et la nuque. L’attaque était terminée, mais l’ambiance restait pesante.

– Examine les blessés, entendis-je Eljoying dire à quelqu’un. Il faut se replier derrière le pont, vérifiez bien que les Orques soient morts, et emmenez les Malledhrims survivants après les avoir ligotés. Orchys, ça va ?
– Oui, oui, ça va, ce n’est qu’une égratignure.
– Que tu montreras à l’un de nos médecins dès que nous aurons monté le camp.
– Tu peux te relever toute seule ? demanda tout à coup une voix.

Je sursautai, revenant dans la réalité. Amynduilas était accroupi près de moi et attendait ma réponse. Mon regard se stabilisa, mais le sang continuait de me battre aux tempes.

– Hummm, encore quelques secondes, je crois, avouai-je, en me prenant le visage dans les mains.
– Ce fut une belle surprise, dans tous les cas, dit le Chasseur pour faire la conversation. Monter nos alliés contre nous.
– Gologmolva… il n’était pas là, alors ?
– Etant donnée la situation, je dirai qu’il a de nouveau pris la poudre d’escampette. Tu as une idée de son plan ?
– C’est difficile à dire, expliquai-je. J’ai l’impression qu’il s’amuse à nous mettre des bâtons dans les roues, peut-être pour nous faire perdre du temps ? Parfois, il me vient à l’esprit qu’il fait tout ça pour me tester, pour m’entraîner, tu vois ? Il a dû remarquer que je n’avais pas le pendentif sur moi, on ne peut dire que j’ai brillé cette fois-ci…
– Nous nous sommes tous retrouvés plus ou moins désemparés aujourd’hui. Mais nous avons remporté cette manche, et nous remporterons la prochaine.
– Ce n’est pas un jeu, Amyn. Gologmolva est vraiment dangereux. Je suis inquiète qu’un…

Amynduilas émit un bruit pour m’interrompre. Il se releva.

– Nous verrons bien quand nous y serons, inutile de se faire du mauvais sang pour le moment, d’accord ? Allez, tes secondes sont passées, je t’aide à te relever et tu m’aides à transporter celui-là.

Je soupirai mais pris tout de même la main qu’il m’offrait. Puis nous nous occupâmes du Malledhrim qui gisait encore inconscient au sol.